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Raymond ROCHER, le pêcheur solitaire s’en est allé…

La saison s’annonçait belle à la fin de cette première semaine du mois de mai 2015, jusqu’à ce qu’un appel téléphonique m’apprenne la mauvaise nouvelle, et me laissait complètement abasourdi, Raymond Rocher venait de décéder à l’âge de 86 ans. Je connaissais ses problèmes de santé, mais je ne m’attendais pas du tout à un dénouement aussi rapide. Auteur de nombreux ouvrages et publications sur diverses revues sur notre passion commune, le petit monde de la pêche à la mouche venait de perdre son meilleur ambassadeur, et moi-même un ami.

Tain l’Hermitage

Raymond Rocher est né en 1929 en Haute-Loire à Saint Julien Chapteuil, cette petite bourgade est traversée par une rivière, la Sumène, et ses affluents, le ruisseau du Fraisse et de Neyzac. C’est sur ces petits rus que le démon de la pêche qui sommeillait en lui resurgit, avec son frère, il y pêchait les vairons et autres barbelles à la fourchette, c’est ainsi qu’il réalisa qu’il était né pêcheur. Quelques années plus tard, il entra au lycée de Tournon en Ardèche, il partait en vélo pendant ses jours de congés pêcher les rives du Rhône, et un de ses affluents, le Doux. C’était pendant les années noires de l’occupation allemande, il pêchait à Tain-l’Hermitage les ablettes avec une canne en roseau.

C’est la Cladriège en Ardèche qui le vit débuter sa carrière de pêcheur de truite en pêchant au lancer léger, mais c’est sur l’Escoutay que sa passion pour la pêche à la mouche pris jour. Avec du matériel rudimentaire, composé d’une canne en bambou avec une poignée en bois qui lui donnait des ampoules à la main, une soie parallèle trop légère l’empêchait d’effectuer des lancers à bonne distance, tout au plus à quelques mètres. A son bas de ligne était nouée une imitation de mouche de maison certainement achetée sur le catalogue de Manufrance; les chevesnes furent ses premières prises. Il fallait vraiment avoir le feu sacré pour persévérer dans ces conditions, la pratique de la pêche à la mouche étant très peu pratiquée, il fallait se débrouiller seul. Il était à des années lumières de l’assistanat médiatique actuel.

Vers la fin des années 1950, sur l’Ardèche Raymond pris sa première truite fario en pêchant au fouet, une Red Tag, excellente mouche toujours d’actualité avait séduit une belle mouchetée de 400 grammes, ce beau poisson racé et musclé lui inocula définitivement cette maladie incurable qui fait les véritables pêcheurs à la mouche.

A partir de cette époque, il voulut pêcher toutes les belles rivières de France, mais également de l’étranger. Professeur d’anglais, il me raconta qu’il partait au tout début de ses congés annuels en Angleterre pendant trois semaines, puis il prenait  le chemin du retour en pêchant en Bavière, puis sur les somptueuses rivières autrichienne. Il terminait son périple dans le Vercors sur la Bourne et la Vernaison, et en Ardèche avant de reprendre son travail.

Sa rencontre avec Frank Sawyer, garde chef du parcours des Officiers sur le haut Avon dans le Wiltshire lui permit d’améliorer ses premiers essais de pêcheur en nymphe à vue, qu’il pratiquait déjà en France grâce à la correspondance et les nymphes que lui avait données son ami Frank. Il peaufina par la suite cette technique de pêche, et publia un ouvrage monumental qui fit date dans la littérature halieutique, Confidences d’un pêcheur à la mouche.

Ce livre fut le premier que j’ai acheté, il m’a fait progresser rapidement dans le difficile apprentissage d’un pêcheur débutant, il a été mon livre de référence pendant toute ma carrière, toujours d’actualité, je le consulte encore très souvent. Randonnée d’un pêcheur solitaire, Des ronds dans l’eau, Confidences d’un moucheur impénitent, La pêche à la mouche moderne en France, Pêche à la nymphe font partie de l’impressionnante littérature qu’il nous lègue.

Raymond Rocher a fréquenté les plus grands pêcheurs de son époque, Aimé Devaux, Jean-Paul Péquegnot, Frank Sawyer, Jack Hémingway, Léonce De Boisset sont les personnages qu’il m’a souvent cités oralement, où par ses lettres.

Jack Hémingway – Sur la Loue, au Lodge de la Piquette

Ces bons moments de convivialité où la pêche était bien sur le sujet principal, Raymond me faisait part de son vécu et de l’évolution de la pêche à la mouche moderne. Il était tout comme moi, très attaché à la pêche en mouche sèche et de la nymphe à vue, tout autre forme de pêche avec un fouet pratiquée en aveugle ne l’intéressait pas. Seuls les beaux poissons repérés étaient pêchés, ce qui évitait la prise des petits sujets, et limitait la pression de pêche sur des poissons moyens.

Bon vivant et amateur de bonne chère, il aimait se rendre dans son restaurant favori qui se trouvait pratiquement en face de son domicile, à Tournon. Une fois le repas terminé, nous retournions à son domicile prendre le café, et déguster une dernière poire Williams dont il était friand. Le retour était souvent difficile.

 

Il avait déjà pêché quelques fois sur la haute-Loue à Mouthiers Haute-Pierre en 1960, mais c’est grâce à quelques bonnes relations, en particulier Jean-Paul Péquegnot et Michel Hivet qu’il put fréquenter les pêches très fermées à l’époque de Chenecey et Cademène. Il avait été impressionné par la qualité de la Loue, très riche à l’époque en insectes et poissons de belle taille, pourtant, ce fin pêcheur trouvait déjà les poissons très éduqués. Il narrait d’ailleurs dans son ouvrage Randonnée d’un pêcheur solitaire, que les Franc Comtois étaient des pêcheurs nés, qu’il avait côtoyé des amateurs aussi fou que lui, et que c’était réconfortant. Il comprenait pourquoi cette vieille province avait fourni tant de fameux pêcheurs, et de grands monteurs professionnels.

En juin 1989, je suis encore pour peu de temps garde pêche de l’AAPPMA de Cléron sur la Loue. Je décide en milieu d’après-midi de faire une tournée d’inspection sur les différents lots de la société . Comme le temps est propice, j’en profiterais pour faire le coup du soir. Après quelques contrôles de routine, je repère un véhicule immatriculé dans la Drôme aux Isles en Gon. Sans me faire repérer, je m’approche à bonne distance du pêcheur, la soixantaine, pas de matériel dernière mode et clinquant, il pêchait merveilleusement bien, aucun faux lancers inutiles, des posés précis en douceur, j’ai tout de suite compris que j’avais affaire à une vieille main, au sommet de son art. Après une bonne heure de planque à l’observer à la jumelle, il avait déjà pris trois belles truites, je décidais donc d’intervenir. Je m’approchais doucement de l’homme afin de ne pas déranger sa zone de pêche, puis je me présentais en lui déclinant ma qualification. Très courtois, il posa son fouet sur la gravière, et me présenta son permis. En lisant l’identité du pêcheur, je restais, un court moment, dubitatif et sans réaction. J’avais devant moi la personne qui par ses écrits m’avait tout appris. Nous devisons cordialement, et comme mon interlocuteur était particulièrement sympathique, il me présenta ses boites à mouches. J’étais particulièrement intéressé par l’Altière dont j’avais entendu parler, et ses nymphes. La majeure partie de ses mouches provenait de la maison Devaux, rue de l’Epée à Champagnole. Après plus d’une heure à converser, je laissais pêcher en paix ce pêcheur si courtois, il s’agissait bien de Raymond Rocher, comme quoi le hasard fait bien les choses.

J’ai revu plusieurs fois Raymond sur la Loue, il pêchait souvent à Cléron, la pêche de Cademène lui était maintenant interdite, il pêchait trop bien, cela dérangeait quelques personnes. Il logeait à quelques minutes de mon domicile à Epeugney , au petit hôtel café et restaurant chez Côte, idéalement situé pour les pêcheurs qui veulent pêcher la haute et moyenne Loue. Il logeait aussi à l’hôtel chez Gervais Pape quand il pêchait à Chenecey. C’est grâce au Docteur Yves Rameaux, qui pêchait depuis de nombreuses années à la ferme de la Piquette, ami de longue date de Cécile et Yvonne Dordor, les anciennes propriétaires du parcours de pêche, qu’il vint pêcher ce superbe parcours. Invité en 1990 par le docteur, ils arrivèrent au Lodge en début de matinée, après le café et les convenances d’usage avec Marc Gatez, le nouveau propriétaire, tout le petit groupe parti à la pêche jusqu’à midi. L’excellent repas se passa très bien jusqu’au dessert, s’ensuivit ensuite une discussion sur la pêche à la nymphe qui était strictement interdite par le règlement du Lodge. Deux forts caractères en fin de repas, cela fit quelques étincelles. Le Docteur repartit à son domicile après le repas, j’en fit de même, Raymond continua sa journée de pêche. A 17 heures, Gatez m’appelle et m’apprends que Raymond Rocher était introuvable sur le parcours. J’arrive dix minutes plus tard, on monte la barque au terminus amont, et je descend le parcours debout sur le caisson avant de la barque en scrutant chaque recoin jusqu’aux profonds des ”Boulonchaux”. Aucune trace visible de notre pêcheur. L’ambiance du retour au lodge est plutôt inquiète, et surprise sur le parking, la voiture de notre pêcheur n’était plus garée. Le portable n’était pas en cours à l’époque, Raymond était tout simplement parti sans se soucier de prévenir de son départ.

Puis l’âge eu raison de son solide physique de pêcheur itinérant, il ne vint plus en Franche-Comté, malgré mes invitations sur les meilleurs parcours de l’époque, et l’hébergement à la maison, il ne voulait plus conduire. Il continua encore de pêcher quelques années dans son Vercors qu’il aimait tant, sur la Vernaison, dans la société des Grands Goulets. Une importante correspondance écrite et téléphonique s’ensuivit, il voulait être au courant des histoires de la Loue, je peux vous dire que cela ne manquait pas. Il me conseilla judicieusement pour le premier article sur la mouche d’Ornans que j’écrivis gracieusement pour le magazine Pêche Sportives. Ses réponses étaient toujours décorées d’un petit dessin humoristique.

Je lui rendis encore quelques fois visite quand mon chemin passait à proximité de Tain l’Hermitage, très généreux avec ses amis intimes, il me donna quelques écrits et pièces de collection, qui sont restés en bonne place dans mon atelier de montage, en particulier cette plaque qui servait à identifier les véhicules en stationnement à proximité du lieu de pêche très renommé en Angleterre. Il avait été donné à Raymond Rocher par Frank Sawyer. J’en ai fait don, afin que cet objet rare et précieux ne parte pas en terrain inconnu, au Fario Friend of Tokyo.

Badge Salmon And Trout Association

J’ai toujours gardé précieusement ton dernier cadeau lors de notre dernière visite, une bonne bouteille de côte du Rhône, un Croze Hermitage rouge, le vin que tu appréciait tant. Avec dessiné sur le carton un dessin humoristique et la petite plaisanterie qui accompagnait chacun de tes écrits.

J’avais toujours dans l’idée que nous pourrions, encore une fois la déguster au bord d’une rivière. Il ne me reste plus qu’à trouver le pêcheur qui saura s’en montrer digne.

Cette cassette VHS, un témoin du passé d’un grand pêcheur.

 

Le joli moi de mai, le plus beau mois du printemps, quand la belle saison de la pêche à la mouche allait vraiment débuter; la mauvaise nouvelle est arrivée, sans que je m’y attende. Raymond Rocher est parti rejoindre ses vieux amis, pêcheurs invétérés, des nombreux pays européens où il avait trainé son fouet, pêcher des rivières de rêve. Tu étais l’un des derniers grands auteurs et pêcheur de notre passion commune, la pêche à la mouche. Je te remercie Raymond pour tout ce que tu nous a appris, je te souhaite des pêches somptueuses avec tes Altières, Jeck Sedges, Devaux 917 et Phéasant tail au Valhalla des pêcheurs au fouet.
                                                                                                                                       
Raymond Rocher dans son bureau de travail

C’est avec cette dédicace prémonitoire que tu m’avais faite, que tu est parti avec le souvenir des rivières que tu aimais tant en Franche Comté. Qu’elles étaient claires et limpides à cette époque.

Adieu Raymond.

 

 

 

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De la Larve à l’éphémère, un nouveau blog va éclore.

          Je commencerais ce premier article sur mon nouveau blog par une préface écrite par mon ami Charles Gaidy. Celle-ci était destinée à un livre sur le fly tying que j’avais quasiment terminé, j’ai renoncé à le diffuser. Je ne pouvais pas trouver un meilleur auteur pour me présenter, une longue amitié sans aucun nuage, ce qui est rare de nos jours dans notre milieu de plus en plus médiatisé.

          Merci Charles

          Alors que je viens d’atteindre les 75 ans, au cours de ma vie de pêcheur à la mouche artificielle débutée alors que j’étais encore gamin,  j’ai capturé des poissons fantastiques, découvert des régions et leurs rivières merveilleuses et…… des pêcheurs passionnés souvent passionnants, voire très passionnants. Gérard Piquard est l’un de ceux-là. Je l’ai rencontré, la première fois je crois, lors d’une belle soirée de fermeture de la pêche en Slovénie chez mon ami Branko Gasparin alors que je dînais en compagnie de deux amis dans la cuisine. De la salle à manger nous parvenaient des conversations ponctuées, parfois, de forts éclats de rire. J’avais l’impression qu’il y faisait bon se chambrer gentiment entre copains. C’étaient des Français venus là, dans ce haut-lieu de la pêche à la mouche, pour y passer quelques journées à la conquête des truites et ombres de l’Idrijca, de la Baca, de la Soca et autres fabuleuses rivières de ce coin slovène réputé.

          Un personnage, à la forte voix, attirait l’attention de ses amis : Gérard Piquard ! On y parlait bien sûr de la pêche de la journée mais surtout de mouches artificielles avec description très détaillée de leur montage. Incontestablement Gérard captivait son auditoire parmi lequel un des pêcheurs semblait unir le groupe. J’appris à le connaître aussi ; il était un des piliers de l’équipe ; son surnom : Loulou. Si je le cite dans ce bref propos, c’est qu’il disparut tragiquement lors d’un accident de la route quelques mois plus tard et que, immanquablement, on évoque toujours les aventures de pêche vécues en sa compagnie tant sa tragique disparition a laissé un grand vide parmi ses amis.

Charles Gaidy en action sur une rivière Autrichienne.

Je sais, Gérard, que tu seras heureux que l’on honore sa mémoire pour débuter ce livre.

Gérard Piquard, pur franc-comtois bien vite gagné par les joies de la pêche à la mouche tant les rivières réputées et leurs … farouches et combatifs salmonidés sont omniprésents dans cette région bénie des dieux, a consacré une grande part de ses loisirs à cette discipline toute faite de techniques, tactiques et observations. Mais ce n’est pas tout ; il maîtrise la photographie comme un véritable pro ; il connaît et cueille les champignons en en connaissant toutes les qualités gastronomiques; il part à la recherche d’herbes, fleurs et plantes dont il sait leurs vertus pour en faire des sorbets, des crèmes, sirops et liqueurs incomparables. Longtemps aussi, il a pratiqué la spéléologie. C’est aussi un fin jardinier.

Surtout, comme c’est un des grands pêcheurs de notre époque, il confectionne ses mouches artificielles toutes issues d’une profonde observation des insectes du bord de l’eau,  de leurs mœurs, des dates d’apparition et durée de leur vie, du pouvoir attractif des larves, subimagos et imagos qu’ils exercent sur les poissons moucheurs de plus en plus méfiants et difficiles à capturer.

Comme il a longtemps exercé la mission délicate de garde-pêche sur les berges de la fantastique Loue dans les environs de Cademène, il a connu les plus « grands » dont il a pu observer leurs boîtes à mouches. Son œil expert a vite fait de remarquer les meilleures dont il a su, par la suite, améliorer les qualités en supprimant tout superflu car il sait, mieux que quiconque, que le « trop » souvent nuit.

Charle Gaidy  dans son atelier, devant un superbe tableau d’Ephemera danica

Utilisant toujours des matériaux de première qualité, il possède des tours de mains étonnants qu’il se plaît d’ailleurs à démontrer car il n’a rien à cacher et, de plus, c’est un pédagogue reconnu. Avec lui, pas de termes compliqués, des paroles justes et une patience de tous les instants.

Devant son étau, entre ses doigts sortent des mouches d’une finesse extraordinaire et pourtant… pourtant, n’a-t-il pas quelques instants auparavant manié avec dextérité la scie à bûches, la hache et la tronçonneuse pour entasser quelques stères de bois. Les hivers sont rudes à Montrond le Château !

Montage de la célebre Merlinoise par son auteur

Qu’importe : les mouches d’Ornans finement assemblées sur de minuscules hameçons, les subtiles montages « parachutes », ou bien les réalistes nymphes aux teintes incroyables, et bien d’autres encore, n’ont que faire des rigueurs de l’hiver. L’atelier possède tout le confort  et l’agencement souhaités. Le logis est douillet, la table accueillante. Josiane, l’épouse de Gérard, est là : c’est la fée du logis qui cuisine,  veille et accueille toujours gentiment le visiteur qui prend possession de la chambre d’hôte pour, justement, dès le lendemain profiter des conseils généreusement prodigués par Gérard.

De ses lointains voyages, Gérard ramène toujours quelques trouvailles, mais « ses » mouches ont fait leurs preuves partout. Elles sont le fruit d’une passion dévorante qui le fait militer intensément pour la défense de la qualité des cours d’eau. Les heures passées sur les berges et dans l’eau en ont fait un expert écouté. Il n’est pas technocrate, il est homme de terrain qui sait ce qu’il dit. Pour notre plus grand bonheur !

Voilà un livre qui doit faire date. Tes amis et les lecteurs qui ne manqueront pas doivent te remercier.

C’est, en tout cas, un très grand honneur que tu m’as fait, cher Gérard, en me demandant de bien vouloir préfacer ce monument pour lequel je souhaite vivement un franc succès.

Charles GAIDY

Saint-Dézéry (Corrèze). 20 Février 2015.